À l’initiative du groupe local des Colibris, et à l’occasion de l’anniversaire des Jardins de Gaïa, Pierre Rabhi a donné une conférence vendredi 3 octobre aux Tanzmatten à Sélestat.
Plusieurs membres de MicCitéS ont tenu à être présents lors de ce moment exceptionnel qui a rassemblé près de mille personnes. Soucieux de garder une trace de cette présentation empreinte de simplicité, nous avons pris ces quelques notes… pour que résonne un peu plus longuement la belle harmonie perçue dans le silence attentif de l’assemblée sensible.
Prendre conscience de son inconscience
Les nations devraient se poser les questions suivantes : Est-on capable d’organiser notre société sur l’humain et sur la nature et non sur le PIB… Est on capable de rendre sa place au féminin et de sortir la femme de la subordination universelle où elle se trouve ?
L’être humain s’est autoproclamé cerise sur le gâteau de la Création et à ce titre, il l’organise. Les seuls qui ont été dans la sobriété sont les primitifs qui vivaient de chasse et de cueillette dans une nature indomptée. Eux seuls appliquaient ce précepte vital : ne pas prélever au-delà de ce qui est nécessaire ; en évoluant, l’être humain a appris à semer et récolter, et a réduit l’animal sauvage à la domesticité. Or, depuis que l’homme n’est plus dépendant de la nourriture, il en est devenu « l’organisant ». Cette maîtrise a malheureusement conduit à l’excès et à la non-satiété… Situation qui caractérise nos sociétés.
L’accumulation devient presque un instinct ; parce nous savons que nous allons mourir nous accentuons la prédation et par réflexe de sécurité et d’accumulation, nous nous installons dans la consommation.
Un cinquième de l’humanité possède les quatre cinquièmes des richesses, et le temps des colonies étant fini, on est bien obligé de se soucier des ressources disponibles : or, leur répartition est inéquitable.
Toutes les 7 secondes un enfant meurt de faim dans le monde…
Les pays émergents aspirent à rejoindre le modèle dominant, et ce modèle a tout standardisé et instauré l’argent comme seule richesse considérable, de sorte que toute la planète est aujourd’hui soumise à une forme de monoculture. Ce système produit lui-même de l’indigence puisqu’il est basé sur la concurrence internationale ; on fabrique de l’inutile au détriment de pays, de continents mal gérés comme l’Afrique.
Le drame actuel, c’est la perte du patrimoine sauvage : des centaines d’espèces (insectes, plantes,…) disparaissent sans qu’on ait pu les identifier et on estime que 70% du patrimoine semencier du monde a disparu. Le potentiel alimentaire et énergétique de l’humanité est victime de la prédation de nos civilisations.
On avait foi dans le progrès de la science… Or on est devenu dépendants de nos inventions et notre statut de démiurge nous aveugle ; on confond notre intelligence et ce que cette intelligence est capable de produire : la capacité à inventer et produire n’est pas la meilleure mesure de l’intelligence.
Alors que faire ? … Le problème de l’argent c’est qu’on en a besoin… On a fait de l’argent un moyen très facile pour le troc et c’est devenu le seul outil d’échange universel.
Nous sommes installés depuis bien longtemps au-delà de la nécessité et pourtant notre instinct de pillard persiste.
Quand nous créons à partir du pétrole, nous créons de la pénurie.
La croissance économique accentue l’épuisement des richesses.
Nous avons le choix : continuer d’être bête ou devenir intelligent et prendre en considération la nécessité d’un engagement moral et éthique. D’où la nécessité morale de la modération
La modération est une nécessité morale. Nous devons sortir de l’idée que le « toujours plus » donne du bonheur … Il faut repenser l’avenir sur un nouveau paradigme : la sobriété. La puissance de la modération peut seule nous permettre d’échapper à l’issue annoncée.
La grande distribution est une concentration du pouvoir de drainer l’argent ; elle est un processus de confiscation tragique de la capacité humaine à échanger.
Travailler à l’usine c’est renoncer à sa vie et à sa liberté contre de l’argent. Mais dans ce monde déréglé, même ceux qui peuvent échapper au travail à l’usine succombent à l’aliénation de la croissance, et cela ressort dans leur vocabulaire : scolarisés dans un « bahut » ils le quittent pour travailler pour une « boîte » ; le weekend ils se changent les idées et vont…dans une autre boîte ; comble d’ironie, ils y vont en « caisse »… Et ainsi de suite jusqu’à la dernière boîte …
Après plusieurs expériences dans le mode du travail, Pierre Rhabi choisit de se destiner à l’agriculture
La terre choisie dans les Cévennes est une terre difficile ; l’eau y est rare, mais le site est beau… Avec sa femme, et leurs cinq enfants, ils vivront 13 ans sans électricité. Et quand P. Rabhi a besoin d’emprunter pour aménager la petite ferme, le Crédit Agricole a du mal à lui accorder le modeste crédit dont il a besoin…
Malgré l’adversité, le choix de la sobriété leur a permis d’affronter les aléas de la vie, et la beauté du site est telle qu’elle répond au seul réel besoin, le besoin intérieur … C’est ainsi que la famille s’est épanouie et donc enrichie !…
Le problème aujourd’hui c’est que les enfants accèdent trop tôt aux écrans
Aujourd’hui, les enfants découvrent le monde, mais aussi leur environnement immédiat par le biais d’un écran… De plus, ils n’apprennent plus à se servir de leurs mains. Ils n’ont plus conscience de ce qui peut « sortir » d’un tel outil. Les objets connectés favorisent la communication mais pas la relation. L’excès, voire l’hégémonie, de l’ordinateur ne peut pas être sans préjudice sur les fonctions cérébrales , mais aussi sur le fonctionnement de notre intelligence ; progressivement, nous réfléchirons autrement, mais dès aujourd’hui, les outils prennent le pouvoir.
L’énergie électrique s’infiltre dans toutes les fonctions de notre organisation : en cas de panne, tout s’arrête…
Proposition de changements
Le modèle d’organisation actuelle du monde tend à amplifier l’écart entre les hyper riches et la masse des plus démunis.
On peut cependant concrétiser une organisation de communauté sobre et respectueuse ; c’est ce que la fille de Pierre Rabhi a fait au Hameau des Buis : mutualiser les savoirs et les savoirs faire et vivre sur un modèle solidaire, c’est le choix de ses habitants ; l’éducation dispensée aux enfants s’inspire du modèle Montessori.
Il faut multiplier les initiatives qui permettent à tous d’accéder aux biens vitaux, et pour cela revaloriser l’agriculture ; ce doit être un acte politique.
Conclusion :
Nous sommes entrés dans l’ Ère de la rationalité , et ce que nous subissons, ce n’est pas une crise économique, c’est une crise du manque de beauté. À nous de remettre la beauté au centre de nos aspirations.
Recommandation de lecture de Pierre Rabhi : littéraire : « La Planète au pillage « , F. Osborn.
Visionner la conférence en intégralité sur la page des jardins de Gaïa
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